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LA GESTION DES CAS D'INCONDUITE ACADÉMIQUE EN SHS : UN EXCEPTIONNALISME CANADIEN ?


Le Canada se distingue par une approche singulière de l’intégrité académique en sciences humaines et sociales (SHS), qui contraste fortement avec les pratiques observées dans d’autres contextes nationaux. Alors que des cas d’inconduite retentissants ont marqué l’histoire universitaire aux États‑Unis et en Europe, le paysage canadien se caractérise par une quasi‑absence de scandales publics impliquant le corps professoral.  


Aux États‑Unis, les affaires de plagiat ou de falsification ont suscité des débats médiatisés et des sanctions institutionnelles. Le cas récent de Claudine Gay à Harvard, accusée de plagiat dans certains travaux, illustre la manière dont l’inconduite est contextualisée, discutée publiquement et peut mener à une démission. Plus tôt, les controverses autour de la thèse de Martin Luther King Jr. avaient déjà montré que même des figures emblématiques pouvaient être soumises à un examen critique. En Allemagne, les cas de Karl‑Theodor zu Guttenberg et Annette Schavan ont entraîné des répercussions politiques majeures, allant jusqu’à la perte de postes ministériels. Ces exemples démontrent que l’inconduite académique, lorsqu’elle est révélée, est perçue comme une atteinte grave à la crédibilité institutionnelle et sanctionnée en conséquence.  


Au Canada, la situation est différente. Officiellement, les cas d’inconduite professorale en SHS sont presque inexistants, et les rétractions de publications fautives demeurent rarissimes. Les discussions sur l’intégrité académique sont largement cadrées autour du monde étudiant, avec des politiques institutionnelles centrées sur la prévention du plagiat et de la tricherie aux examens. Le corps professoral, quant à lui, reste peu exposé à des sanctions publiques, ce qui alimente l’idée d’une culture de l’omerta. Les pratiques problématiques (plagiat, auto‑plagiat, falsification des résultats, etc.) ont connues, mais rarement dénoncées ou sanctionnées.  


Cet « exceptionnalisme canadien » s’explique par un cadre institutionnel et national complexe. Chaque université adopte son propre code de conduite, tandis que les organismes fédéraux comme le CRSH imposent des normes éthiques générales. Les provinces, autonomes en matière d’éducation, privilégient souvent une approche pédagogique axée sur la prévention plutôt que sur la sanction. Les associations savantes, bien qu’actives dans la sensibilisation et la formation, ne disposent pas du pouvoir disciplinaire observé ailleurs.  


Dans un pays bilingue et multiculturel, cette approche vise à préserver la cohésion et la crédibilité collective, mais elle contribue aussi à invisibiliser les fautes professorales. En définitive, l’exceptionnalisme canadien en SHS repose sur une gestion institutionnelle qui privilégie la prévention et la discrétion, au détriment de la transparence publique et de la sanction exemplaire. Cette singularité, si elle protège la stabilité du système, soulève néanmoins des questions sur la capacité du Canada à affronter ouvertement les dérives académiques et à renforcer la confiance dans la recherche.  

(M. C.).